Sur le seuil de la petite pièce…

Article original publié sur Cent Papiers le 13 mars 2008
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Une maison immense, un escalier donnant sur un étroit couloir, et au fond, une porte. De quel côté de la porte se trouve la réalité? Il y a au moins deux façons de voir La petite pièce en haut de l’escalier, décrite par le TNM comme un thriller contemporain inspiré du mythe de Barbe-Bleue.

C’est d’abord un conte. L’histoire d’une jeune femme un peu naïve qui épouse un prince charmant éperdu d’amour et s’en va vivre dans sa grande maison. Le tableau idyllique compte une ombre : Grâce ne doit sous aucun prétexte s’aventurer dans la petite pièce en haut de l’escalier. Mettra-t-elle en péril son avenir conjugal pour assouvir sa curiosité? Y aurait-il une histoire si elle ne le faisait pas? Quel inavouable secret se cache derrière cette porte?

L’autre angle de lecture, infiniment riche, est celui de l’interprétation.

Il est clair qu’on ne nous raconte pas qu’une histoire. Une symbolique se construit peu à peu sur la fable, et c’est au spectateur d’y apposer sa grille d’analyse. À ce petit jeu, c’est peut-être les disciples de Freud qui seront les mieux nourris ! Comme Grâce et comme Henri, son mari, la maison préserve sa part cachée, troublante et mouvante, sur laquelle se projettent les non-dits du propriétaire et, accidentellement, un regard extérieur. Pour franchir la porte, la jeune femme au nom de princesse entre dans un processus qui ressemble à l’autohypnose. Cherche-t-elle à connaître son mystérieux époux, ou veut-elle plutôt se trouver elle-même et combler le vide intérieur qui l’habite ? En écho à ce fascinant cheminement, la multiplication du symbolisme rappelle les écrits de Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) et les théories sur l’introspection.

Eut-elle 28 pièces, une maison n’est-elle pas une prison si on ne peut en visiter chaque recoin? Le parcours presque abstrait de l’héroïne mène naturellement à des questionnements sur la liberté, la volonté, l’amour, le désir, mais encore sur la réalité, l’autorité, le modèle maternel, la confiance, le secret.

Servie par un texte de Carole Fréchette en équilibre sur le fil du réel, la pièce bénéficie de la mise en scène inventive de Lorraine Pintal, qui cultive un onirisme singulier, au milieu d’un magnifique décor aux éclairages parfois sombres, parfois célestes.

Mais la démonstration serait creuse sans une interprétation à la mesure du projet. La composition lumineuse d’Isabelle Blais a été vantée par la critique ; soulignant avec raison le fait qu’elle porte la pièce sur ses épaules. Elle donne à Grâce un caractère emprunt de la fragilité d’une enfant et de la détermination d’une femme accomplie. Pour en saisir la mesure, il faut l’avoir suivie dans les monologues où elle parle et agit avec un léger décalage, comme la pensée précède le geste.

Chacun des autres personnages possède son niveau de jeu. Le mari semble chercher à se convaincre lui-même de la pureté de ses sentiments – à moins que ce ne soit le jeu un peu forcé d’Henri Chassé qui ne donne cette impression. Louise Turcot incarne avec conviction une mère poule qui n’aspire qu’à fuir son quotidien pour vivre par procuration le conte de fée de sa fille préférée. La sœur Anne du conte, campée par Julie Perreault, est tellement enracinée dans le concret, la méfiance et le cynisme que ses convictions paraissent aussi subjectives que les illusions de sa cadette. Quant à Tania Kontoyanni, elle campe avec justesse une domestique qui se cache derrière sa fonction comme derrière un paravent. La distribution compte un sixième rôle… dont la troublante présence ne doit rien au texte.

Paradoxalement, cette Petite pièce est une grande pièce…

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