Réincarnation(s)

Christ de destinées

Le Grand rire de Québec a invité le Cabaret des auteurs du dimanche pour deux soirées sur la scène du Cabaret du Capitole. Samedi, le thème était «réincarnation», voici le texte que j’ai écrit et lu pour l’occasion. Notez que si la thèse est, euh… discutable, la majeure partie des exemples sont réels. Oui oui.

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Chers lecteurs, bonsoir.

Je suis ici pour vous parler du livre que je vais lancer à Pâques aux éditions des Intuables. C’est un ouvrage de recherche scientifique dont je suis assez fier et qui – je le dis en toute modestie – devrait changer la face de l’humanité et remettre en question tout ce que nous savions jusqu’ici. Il s’agit de démontrer d’une façon indiscutable que le passage sur Terre de Jésus Christ a fait l’objet d’un invraisemblable malentendu. [pause]  Jésus de Nazareth n’a pas ressuscité. Il s’est réincarné. Cent-soixante-treize fois. En traînant dans chacune de ses vies un pattern existentiel extrêmement handicapant, à savoir des morts précoces et stupides. Mon livre s’intitule Christ de destinées.

(Petite parenthèse : l’étymologie nous prouve que le destin du prétendu fils de Dieu est une vraie catastrophe, puisque «messie» vient de l’anglais messy qui signifie «bordélique».)

Le quiproquo commence vers l’an 33, au moment où deux soldats romains  transportent le cadavre d’un hippie juif dans un mausolée de style rustique, fermé par une dalle de pierre mal ajustée. C’est par là que le Sauveur se sauve : il se faufile dans un infime interstice rocheux. Comment fait-il? Mirâââcle? Non : il s’est juste réincarné en une larve gluante et a rampé vers l’extérieur de la tombe. Cet asticot serait d’ailleurs devenu une mouche d’un beau vert émeraude si elle ne s’était pas fait cueillir dès sa sortie par une corneille affamée. La première réincarnation divine aura donc duré trois jours, dont deux minutes au soleil.

Par la suite, Jésus – ou quel que soit son nom – a ébauché de grandes choses. Mais bon, l’ébauche, l’esquisse, la prémisse, le début, c’est le mieux qu’il pouvait faire, vu que la fatalité le rattrapait toujours avant qu’il réalise ses projets.

Par exemple. Au premier siècle de notre calendrier, il revient sous l’identité de Claudius Drusus, fils de l’empereur romain Claude. Il meurt à Pompéi en s’étouffant avec une poire qu’il avait lancée en l’air et tenté de rattraper dans sa bouche. Vous pouvez vérifier, c’est dans Wikipedia.

On retrouve notre Jésus en 453, sous l’identité d’Attila, roi des Huns. Il meurt étouffé par un saignement de nez… pendant sa nuit de noces!

Vers l’an Mille, Muldor Kingsey naît à Sinky Bay, sur les îles Bermudes. Il meurt jeune, mais on n’en sait pas plus. Une tradition locale.

On connaît bien Leonardo Da Vinci, ses peintures, ses écrits et ses inventions visionnaires. En revanche, on connaît beaucoup moins Juvenus Amadotti, son assistant, le gars qui a ESSAYÉ l’hélicoptère en bois. Hm.

Pour contrer ce tragique destin qui ressemble à la version trash du Jour de la marmotte, le messie tente de laisser une trace dans l’Histoire. Au 16e siècle, il est Pietro Aretino, écrivain et dramaturge prometteur. Pris d’un fou rire incontrôlable, il meurt par suffocation. Il laisse quand même à la postérité l’expression «mort de rire».

En 1841, Dieu-fait-homme tente encore de marquer son époque en se faisant élire neuvième président des États-Unis. Le jour même de son investiture, il prononce un discours de deux heures sous une pluie glaciale, et contracte une pneumonie. Il rendra son dernier soupir un mois plus tard.

En 1884, le p’tit Jésus choisit le métier de détective, sous le nom d’Allan Pinkerton. Lors d’une filature de routine, il glisse et chute sur le trottoir mouillé. Il se mord la langue. La gangrène s’installe, il meurt dans les jours suivants.

En 1912, le Divin Enfant est un rat de robuste constitution. Le rat étant un animal réputé pour sa résilience, il tient une belle occasion de se venger de son cruel destin. C’est du moins ce qui le pousse à embarquer clandestinement dans les cuisines d’un paquebot à Southampton. Un iceberg fera le reste.

Quelques années plus tard, le jockey Frank Hayes, succombe à un infarctus au beau milieu d’une course hippique. Son cheval Sweet Kiss gagnera la course, faisant de lui le premier jockey mort victorieux. Belle consolation, Jésus, bien essayé!

Nouvelle incarnation en 1941 : l’écrivain américain Sherwood Anderson avale un cure-dent dans un party mondain et meurt d’une péritonite.

Plus tard, on retrouve l’agneau de Dieu sous la forme d’une femelle Jack Russell, en Russie, à l’aube de la conquête spatiale. Laïka est choisie pour devenir le premier chientronaute. On l’envoie en orbite dans une capsule Soyuz, le 3 novembre ‘57. La mission est un succès total : elle meurt asphyxiée à 8000 km de sa niche.

Dans les années 70, Dieu-le-fils profite de la vague psychédélique pour s’adonner à la drogue et à la musique pop. On le retrouve dans la peau de Keith Relf, chanteur du groupe britannique The Yardbirds. Il meurt électrocuté par sa guitare électrique, qui n’était pas mise à la terre.

En 1993, changement radical de registre: le Rédempteur revient en Garry Hoy, un avocat torontois. Pour prouver à ses clients que les vitres du Toronto-Dominion Centre sont incassables, il se jette contre l’une d’elles. Non, la vitre ne se brise pas… mais elle sort de son cadre, et Gary fait une chute de 24 étages.

Mon livre laisse ouverte une question troublante : et si Jésus lui-même était déjà, dans le Nouveau testament, la réincarnation d’une précédente existence maudite? Difficile à dire, mais certains témoignages rappellent le destin pourri du Fils de Dieu. Par exemple : en -456, le dramaturge grec Eschyle est tué par un rapace qui laisse tomber une tortue vivante sur sa tête, confondant son crâne chauve avec une pierre. Coïncidence?

Il va de soi que la doctrine chrétienne s’écroule comme un château de carte devant cette accablante suite de faits historiques. Jésus n’était pas le sauveur de l’humanité mais un malchanceux multirécidiviste avec un karma de merde. Oui, certaines âmes ont cette capacité prodigieuse de s’incarner plusieurs fois, un peu comme l’ongle du gros orteil (pour prendre un exemple concret).

Merci pour votre écoute, mon livre sera très bientôt en librairie. En attendant, je vous laisse sur ce conseil : faites bien attention, si vous avez moins de 33 ans, vous pourriez être l’Élu! Bonne soirée.

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