Un prince qui a cinq siècles

ukulele

Ce dimanche 12 avril s’est donc déroulé un Cabaret des auteurs du dimanche spécial La Loi et l’Ordre, occasion d’entendre une poignée d’auteurs talentueux et courageux livrer des textes qui auraient provoqué de sévères démangeaisons dans les oreilles de nos dirigeants (s’ils savent encore lire). Ne pouvant me contenter de ne faire que l’affiche, mais limité dans mon temps d’écriture par l’imminence d’un déménagement hors Montréal, j’ai décidé de faire parler un vrai auteur. De devenir, en quelque sorte sa voix. Voici mon intro, et son texte.

* * *

Puisque c’est un cabaret littéraire, j’ai décidé de ne rien écrire. Je vais plutôt laisser parler un auteur qui serait venu ici ce soir s’il n’était pas mort. En Italie. Il y a 488 ans. Je veux vous présenter Nicolas Machiavel à travers quelques extraits de son livre Le prince, publié en 1515. IL Y A 500 ANS PILE! Ça s’appelle Le prince, mais aujourd’hui, ça s’appellerait Le Premier Ministre. C’est donc un traité de stratégie politique écrit au 16e siècle, et comme j’avais peur que ce soit un peu aride pour un dimanche soir, j’ai décidé de vous le lire en jouant du ukulele.

[bling]

 Si la race [du] prince est une fois éteinte, les habitants, déjà façonnés à l’obéissance, ne pouvant s’accorder dans le choix d’un nouveau maître, et ne sachant point vivre libres, sont peu empressés de prendre les armes ; en sorte que le conquérant peut sans difficulté ou les gagner ou s’assurer d’eux.

[bling-a-bling]

Il est à observer que celui qui usurpe un État doit déterminer et exécuter tout d’un coup toutes les cruautés qu’il doit commettre, pour qu’il n’ait pas à y revenir tous les jours […]. Les cruautés doivent être commises toutes à la fois, pour que leur amertume se faisant moins sentir, elles irritent moins ; les bienfaits, au contraire, doivent se succéder lentement, pour qu’ils soient savourés davantage.

[bling-guede-bling]

Si un prince veut se faire dans le monde la réputation de libéral, il faut nécessai­rement qu’il n’épargne aucune sorte de somptuosité ; ce qui l’obligera à épuiser son trésor par ce genre de dépenses ; d’où il s’ensuivra que, pour conserver la réputation qu’il s’est acquise, il se verra enfin contraint à grever son peuple de charges extraordi­naires, à devenir fiscal, et à faire, en un mot, tout ce qu’on peut faire pour avoir de l’argent. Aussi commencera-t-il bientôt à être odieux à ses sujets, et à mesure qu’il s’appauvrira, il sera bien moins considéré. Ainsi, ayant, par sa libéralité, gratifié bien peu d’individus, et déplu à un très grand nombre, le moindre embarras sera considérable pour lui, et le plus léger revers le mettra en danger.

[bling]

Enfin la libéralité, plus que toute autre chose, se dévore elle-même ; car, à mesure qu’on l’exerce, on perd la faculté de l’exercer encore : on devient pauvre, méprisé, ou bien rapace et odieux. Le mépris et la haine sont sans doute les écueils dont il importe le plus aux princes de se préserver. Or la libéralité conduit infailliblement à l’un et à l’autre.

[bling-a-bling]

En faisant un petit nombre d’exemples de rigueur, vous serez plus clément que ceux qui, par trop de pitié, laissent s’élever des désordres d’où s’ensuivent les meurtres et les rapines ; car ces désordres blessent la société tout entière, au lieu que les rigueurs ordonnées par le prince ne tombent que sur des particuliers.

[bling-a-bling-a-bling]

Sur cela s’est élevée la question de savoir s’il vaut mieux être aimé que craint, ou être craint qu’aimé ? On peut répondre que le meilleur serait d’être l’un et l’autre. Mais, comme il est très difficile que les deux choses existent ensemble, je dis que, si l’une doit manquer, il est plus sûr d’être craint que d’être aimé.

[bliiiiing]

Un prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplis­sement lui serait nuisible, et que les raisons qui l’ont déterminé à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. Il ne serait pas bon sans doute, si les hommes étaient tous gens de bien; mais comme ils sont méchants, et qu’assurément ils ne vous tiendraient point leur parole, pourquoi devriez-vous leur tenir la vôtre? Et d’ailleurs, un prince peut-il manquer de raisons légitimes pour colorer l’inexécution de ce qu’il a promis?

[plong?]

A ce propos on peut citer une infinité d’exemples modernes, et alléguer un très grand nombre de traités de paix, d’accords de toute espèce, devenus vains et inutiles par l’infidélité des princes qui les avaient conclus. On peut faire voir que ceux qui ont su le mieux agir en renard sont ceux qui ont le plus prospéré.

[bling-a-bling]

Mais pour cela, ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard, et de posséder parfaitement l’art et de simuler et de dissimuler. Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur trouve toujours quelqu’un qui se laisse tromper.

[bliiiiing]

Ainsi donc, pour en revenir aux bonnes qualités énoncées ci-dessus, il n’est pas bien nécessaire qu’un prince les possède toutes ; mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère ; il l’est même d’être tout cela en réalité : mais il faut en même temps qu’il soit assez maître de lui pour pouvoir et savoir au besoin montrer les qualités opposées.

[bling-a-bling-a-bling]

Si un prince veut une règle certaine pour connaître ses ministres, on peut lui donner celle-ci : Voyez-vous un ministre songer plus à lui-même qu’à vous, et rechercher son propre intérêt dans toutes ses actions, jugez aussitôt qu’il n’est pas tel qu’il doit être, et qu’il ne peut mériter votre confiance ; car l’homme qui a l’adminis­tration d’un État dans les mains doit ne jamais penser à lui­ mais doit toujours penser au prince, et ne l’entretenir que de ce qui tient à l’intérêt de l’État.

[bling-a-bling]

Mais il faut aussi que, de son côté, le prince pense à son ministre, s’il veut le conserver toujours fidèle ; il faut qu’il l’environne de considération, qu’il le comble de richesses, qu’il le fasse entrer en partage de tous les honneurs et de toutes les dignités, pour qu’il n’ait pas lieu d’en souhaiter davantage ; que, monté au comble de la faveur, il redoute le moindre changement, et qu’il soit bien convaincu qu’il ne pourrait se soutenir sans l’appui du prince.

[finale hawaïenne]

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