Correspondance : États-Unis

Voici la correspondance que j’ai échangée avec Catherine Ethier lors du Cabaret des auteurs du dimanche ayant pour thème États-Unis. Le principe est simple : j’ai écrit une première lettre à Catherine, qui m’a répondu, à qui j’ai répondu… et j’ai découvert le quatrième chapitre sur scène, en même temps que le public. Avertissement : si vous allez aux États après avoir lu ça (même au Minnesota), vous serez déçus.

Chère Serena Wolfpitch,

Je vous écris, car je vous ai vue hier dans le reportage sur les poseuses d’ongles dans le Minnesota Nord. Je suis moi-même peu informé sur les techniques de manucures et sur la région de Bemidji, mais je n’oublierai jamais votre témoignage. Était-ce votre sourire, vos doigts robustes, votre voix rauque, votre léger accent abitibien, ou l’architecture de vos boucles rousses? Toujours est-il que j’ai eu LA révélation, celle que j’attendais depuis des années et qui me pousse à vous écrire.

Là, je change de paragraphe et je passe au tu, tu vas comprendre pourquoi assez vite, ma Serena.

Tu es Sergio-L’Escapade et tu me dois ma part.

Oh, ton changement de sexe pis de face sont parfaits, et sans cette émission pour madames, j’aurais JAMAIS eu l’idée de te chercher aux États. Mais comme j’ai pas retrouvé de travail depuis ma sortie, j’ai beaucoup trop de temps pour regarder les émissions plates. Serena.

Je suis pas comptable, mais d’après mes calculs, tu me dois 225 000 belles piasses. C’est le 100 000 de ma part, plus 22 ans d’intérêts. Parlant de 22 ans, tu sauras que c’est long en cibolaque au pénitencier, et ça laisse pas mal de lousse pour imaginer le tabarnak – ou le transgenre, comme on dit maintenant – qui s’est poussé avec le cash. Je me suis rejoué en masse l’attaque du camion de Garda entre Drummondville et Saint-Eugène, la souricière parfaite, le gros en uniforme qui veut jouer au fin-finaud, le coup de feu, la police ben trop proche, la gang en panique, et mon Sergio qui disparaît avec les sacs.

On était une équipe. Des chums. J’ai pas mérité de pourrir pendant 264 mois au milieu des fous malades, juste parce que j’ai un peu tué le gros. Mais mettons que j’ai payé ma dette à la société.

Ben je pense que c’est le moment de récupérer mes bidous. Parce qu’ils sont à moi, et parce que c’est ben beau de se faire chopper la bizoune pour poser des ongles à des Minnesotiennes, mais à un moment donné, faut payer son bill. Pour un temps limité, je suis prêt à pas t’arracher ta nouvelle face. Je suis même OK pour faire la moitié du chemin si tu me redonnes mon cash sans faire de trouble. Moi, je veux juste une retraite d’honnête homme. Comme toi, mais sans les totons ni les frisettes. Pas faire de vagues et pu tuer parsonne.

Ça fait que réponds-moi, qu’on se donne the rendez-vous qui me permettra enfin de chiller dans un chalet en faisant semblant d’être pauvre, et qui t’ôtera une menace un ti-peu plus stressante qu’un vernis raté sur les doigts d’une vieille parkinson.

Chuis un visuel, Sergio, et c’est pas des cheveux, une robe à fleurs pis du botox qui peuvent m’empêcher de reconnaître une face. Ni de faire des trous dedans.

Your time is up, comme disait Harvey Weinstein. J’attendrai pas 22 ans de plus.

Yours truly,

Maurice Momo Chiasson

_

Momo!

Veux-tu ben me dire comment est-ce que c’est rendu que tu parles? T’est ben chic, mon tabarnak! Ça te va ben! Toute t’a toujours été, toi, mon osti. Je me souviens de cet après-midi aux danseuses où tu portais tes jeans-cigarette Boulet, tsé, ceux que t’avais payés cher et qui, on va se le confier, te faisaient toute une paire de miches. Deux beaux pains de campagne à la sambuca, ha ha!  On avait-tu assez ri! T’avais payé la tournée de bière-clamato à tout le monde, y compris à Ti-Bécik, notre préférée. Je te dis qu’a’ tournaillait autour d’un poteau comme pas une, notre Ti-Bécik. Une tigresse. J’ai gardé son ongle cassé, de la fois où a’ s’était battue avec Paulo parce qu’il voulait pas y redonner son top brillant. Eh! Que ça avait saigné, c’fois-là. C’était le bon temps. J’y repense chaque fois que je regarde son bel ongle de deux pouces glossy, avec le design de palmiers pis de coucher de soleil de Miami. Dans le temps, je comprenais pas pourquoi ça me faisait de l’effet de même, un dessin. Mais je l’ai gardé. Toujours, dans mon portefeuille.

Pis ben… qu’est-ce tu veux, mon Momo. Y’est arrivé ce qui est arrivé. On s’était pourtant dit qu’y’en n’aurait pas, de marde. J’arrivais derrière le truck avec ma perruque frisée pis je criais « Tout le monde à terre, ça va aller vite! », comme Monica la Mitraille. Le parfait larcin. C’était clair comme de l’eau de poche. Tout le monde se serait couché à terre pis ça serait allé vite. Une job propre, comme qu’on avait dessiné sur ton paquet de Gauloises. Mais y’a fallu que tu fasses à ta tête, Momo. Y’a fallu que tu voles le show. Pis que tu passes le gros. J’entends encore son râle gras et je peux pas m’enlever ses petites guiches frisées pleines de sang noir de d’ans tête, Momo. Ton Sergio est mort, ce jour-là.

Quand l’autobus m’a débarqué à Bemidji, je me suis juré que ma nouvelle vie serait belle. Que j’aurais un logement à moi, une berçante, pis des buissons avec des pompons de fleurs. J’ai jamais pu t’en parler, de ça, Momo. On jasais jamais de fleurs pis de pompons, toi pis moi. Qu’est-ce tu veux. Ça fait que la première affaire que j’ai faite, c’est de me refaire faire les dents. Je couchais dans des motels, j’avais rien à moi, sauf mes belles dents lilas. Eille tu devrais me voir la paire de chicklets! Ça m’a tenu en vie sur un esti d’temps, d’entendre le bruit de mes palettes qui croquent dans une tomate. Les tomates sont fermes en tabarnak, par-ici, Momo.

Pis un matin, j’ai compris que je m’étais toujours appelée Serena; un nom prestigieux pis pas cheap comme Jessica. Je suis partie de là, Momo. Pis un beau manné, entre deux jobines de peinture, je suis retombée sur l’ongle de Ti-Bécik. Le nailart est ben fort, par-icitte. Ça fait que je me suis pratiqué un peu, chaque soir, sur des écailles de pinottes. Ben j’ai pogné la twist. Je suis capable de te peinturer le skyline de Dégelis rien que sur un pouce, mon Momo. J’ai inspiré le respect pis le mot s’est passé. La business est bonne. Les bonnes femmes aiment ça, se faire peinturer des teddé-bears sur les doigts.

Je vais passer par-dessus toutes les saloperies que tu racontes sur ma nouvelle enveloppe. C’est pas à ta portée, Momo. Là, Ti-Bécik est avec moi. On en a jasé, pis on t’a préparé un sac sport avec ce que je considère qui te revient. Viens le 12, y t’attendra au Cimetière Greenwood sur la tombe de tu sais qui.

10 heures au soir.

Serena

_

Serena,

Normalement, j’haïs ça, les fausses femmes.

Mais d’un autre côté, 22 ans en dedans, ça étire bien des choses et ça te change une vision. J’ai changé, Serena. Et oui, je parle chic à cause que je me suis cultivé pendant ma détention. Astheure, je clanche n’importe qui au sudoku. T’as toujours été artiste, moi, je suis un penseux. Mais ça, c’est juste la surface des choses. Il faut que je te parle de ce qui se passe dans le fond de moi.

Ça me tourne dans la tête depuis que j’ai lu ta lettre, je vais te le dire comme ça vient : t’es mon genre de partneuse. En tout cas, y’en avait des ben plus laittes à mon unité, pis ç’a jamais empêché l’affection. Je relis tes mots, pis ça fait des phrases, pis ces phrases-là touchent mon âme ben ben profond.

Fait que j’ai un deal à te proposer. On se voit le 12, là où repose le fantôme de notre jeunesse – ouin, j’ai beaucoup lu – pis je veux te voir toi, en personne, avec ou sans Ti-Bécik. Je compterai le cash direct sur la pierre tombale ou autre surface plate, et je m’attends, au nom de notre complicité, à ne pas me faire prendre pour un épais. Pis pour balancer tout ce qui sera pas dans la poche de hockey, je veux une place dans ton cœur de femme nouvelle.

Mon nouveau plan, c’est d’aimer Serena Wolfpitch aussi fort que j’ai haï Sergio-L’Escapade. Pis y’aura pas de mort dans ce coup-là.

Sous mon ti-cuir de brute, y’a une grosse boule de sentiments. Je sais ce que je vaux, et j’aime pas me faire négocier. Alors c’est ça. Pour pas m’avoir dans ton chemin, tiens-moi proche-proche-proche. Tu trouveras pas meilleur compagnon de vie que quelqu’un qu’a tué pour toi et qui a deux décades de manque affectif à combler. Pis toi et moi, on a joué la même game dans la même gang : on peut pu se mentir.

On n’a pu 20 ans, Serena. C’est notre chance de repartir à zéro, dans un nouveau pays, au milieu des pompons de fleurs, des pizzas hawaïennes et du vernis à ongles. Un monde juste à nous autres. Je suis encore solide et j’ai du cœur au ventre; je pourrais facilement me trouver une job d’Américain, comme détective privé, conducteur d’ascenseur ou même juré de procès. Et tu finiras par l’avoir, ton salon de manicure rien qu’à toi, tout plein de bouquets d’hortensias, de grosses femmes riches et de rires d’enfants. Si tu tends ta main dodue, tu peux toucher du doigt notre ti-boute de paradis : il est juste là!

Fait que 10 h au Cimetière Greenwood, mets-toi belle. Pis si il faut que Ti-Bécik embarque avec nous, ça me dérange même pas.

Ton Momo

_

Allô mon momo!

Eh bateau! Je pensais pas que tu changerais ton fusil d’épaule de même, mon salaud! J’ai les fruit of the loom en lavette, ça pisse à’ grandeur du corps. Je braille, Momo, des belles larmes d’homme sur les fins traits de mon faciès de femme. Ça faisait longtemps, que j’avais pas pleuré au masculin. Mes larmes tombent sur mon napperon du Denis pis ça goûte le cuir. Le cuir pis le métal. Au début, j’ai eu peur d’être après faire un ACV, mais vu que ça sentait pas les toasts, je suis correcte.

Cré Maurice. Tendre comme un steak délicatisé. Mais m’a t’en faire, une fausse femme! Tu dirais pas ça si tu voyais ce que je suis capable de faire à un cône orange sua rue. Y’a pas une femme, PAS UNE, que je connaisse qui soit capable de s’asseoir là-dessus, lentement, sans changer de la face, en prendant ben son temps jusqu’à ce qu’y disparaisse dans sa petite rocaille intime. Le petit serveur du Boston Pizza a fait toute que le saut quand j’ai fait disparaître notre deux litres de Pepsi, à notre souper de femmes, l’autre soir. Eille, le fun qu’on a eu! Pis on a beau pas s’être parlé depuis au-dessus de 20 ans, j’ai pas de problème à te confier su’l side, mon Momo, à quel point le docteur, un beau Chinois, m’a fait une belle job de ploune. C’est beau, même à la clairceur! Tu créeras pas à ça, m’a te la montrer, elle est belle comme le petit St-Jean-Baptiste, rose pis gold en même temps, avec des airs de Patsy Gallant quand a lève sa grand’ patte dans les airs. Pas sa fourche à elle; MON PÉRINÉE EST UNE VÉRITABLE ET TOUTE PETITE TINY TINY BIKINI BEANIE PATSY. J’AI ÇA DANS MES CULOTTES, ASTHEURE MON BEAU NOIR, peux-tu croire?

Bon là, laisse donc faire le cimetière pis les sparages; comme on savait pas à quoi s’attendre, Ti-Bécik pis moé, on voulait pas prendre de chance. Les pierres tombales, la brunantes, on trouvait que ça faisait safe; on s’était même acheté des impers kaki pis des bandanas en qu’en qu’y’aurait fallu se battre. Mais à te lire, on n’est pu là-dedans, astheure. Viens donc prendre un brandy à’ maison mobile, à la place. On est ben équipées! On vient même de s’acheter un Brita. Le sac sport est là, y t’attend, ben plein, comme mon siot de piroulines à côté du cendrier. Je me souviens de ta gencive sucrée! Viens donc, on va se faire des hot dogs au beurre de pinotte, comme dans le temps, pis m’a te faire une job de cuticules que t’es pas près d’oublier.

Imaginer la terre comme un jardin d’Eden
Horizon sans frontières Russes, ou Américaines
Ou personne ne s’amuse à jouer à la roulette
À qui sera le premier, à faire sauter la planète.

Bocal de poissons rouges sur le crâne, regard Bocan, JE T’ATTENDS.

Ps tendresse :: Ti-Bécik fait dire que tu vas dormir su’l sofa.

_

 

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *