Trente ans

Paris, septembre 1990.

En 1990, c’est l’heure des communica-tioooons…

L’encre de mon diplôme des Arts Déco en Identité visuelle n’est pas encore sèche que je saute avec délectation dans la vie professionnelle. Il fait beau et ma carrière commence.

Bien sûr, j’ai déjà quelques mandats semi-payants à mon actif, mais cette fois, c’est le grand saut, ze real shit. Je décroche un poste de graphiste en «packaging» et en identité visuelle chez Hotshop, à Boulogne-Billancourt, je me loue un studio à moi tout seul dans le 11e, et j’effectue cette métamorphose tant attendue de ma vie d’étudiant post-ado à celle de salarié autonome. Oui, je sais, «salarié» et «autonome» sont des mots qui vont mal ensemble, mais je suis encore jeune, merde, laissez-moi perdre mes illusions à mon rythme!

Sans faire un vrai bilan de mon parcours, je remarque un truc cocasse. Ma carrière semble unidirectionnelle : j’ai un diplôme de graphisme, et je ne ferai pratiquement rien d’autre qu’être graphiste. Pourtant, je vis une époque paradoxale, puisque les outils, les médias et les clients qui seront les miens n’existent pas en 1990. J’entre donc d’un pas léger dans un futur qui reste à inventer.

Le reste appartient à l’Histoire, ma petite histoire et celle de mon domaine. Apparition de l’informatique graphique, naissance du multimédia, puis du web graphique, première génération numérique, – insérer ici un changement de continent pour moi –, deux-point-zéro, télétravail, mobilité, réseaux sociaux, intelligence artificielle, pandémie.

Au milieu de ce déferlement technologique, je reste le mec qui a fait une école d’art et qui refuse obstinément de toucher à tout ce qui ressemble à du code. J’y perds quelques mandats et y gagne des partenaires de travail, dont la plupart resteront mes amis.

Trente ans plus tard, j’ai fait le deuil d’une partie de mon côté artisan, faute de travailler quotidiennement le papier, le carton, l’encre, l’acrylique, le bistouri et autres artefacts du monde physique. Même mon écriture manuscrite a écopé de la dématérialisation des supports depuis que je frappe plus vite que je ne trace. En revanche, je mesure mon gain sur certains aspects de mon métier, notamment le branding et tout ce qui touche à la typographie. Et je suis devenu un passeur, comme avant moi ceux qui furent mes mentors.

La seule chose qui n’a pas changé, c’est que je me sens comme un jeune créatif vaguement délinquant et dont le potentiel reste à réaliser.

Je vous en reparle en 2050.

*Le pré-selfie date de 1987, je n’ai pas de photo de 1990.

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