Michel Tremblay : Que reste-t-il du vrai monde?

Article original publié sur Cent Papiers le 16 novembre 2007
patate

Le joual légendaire de Michel Tremblay revient faire vibrer les planches de la Place des Arts, et c’est le Tremblay qui confronte, celui qui dessine le gouffre des générations et questionne les fondements de la création théâtrale. Le vrai monde? n’en est qu’à sa troisième vraie mise en scène mais fait figure de classique, de pièce maîtresse de la dramaturgie d’ici.

René Richard Cyr signe avec ce drame familial sa cinquième mise en scène d’une œuvre de Tremblay. À une journaliste de La Presse, il confiait malgré tout que «faire une mise en scène, c’est un peu comme essayer d’assembler un puzzle sans avoir l’image sur le dessus de la boîte». Cyr avait l’expérience et la naïveté nécessaire pour faire de ce vrai monde un portrait à la fois universel et personnel, lui qui a atteint l’âge du père mais s’identifie immanquablement au fils… De fait, sa mise en scène s’engage et prend parti en appuyant certains angles et en glissant sur d’autres. Dans un décor d’époque baigné d’une lumière verdâtre, les personnages se dessinent au fil de leurs affrontements, et la force du texte s’accommode parfaitement de ce plateau dépouillé.

Toutefois, il faut reconnaître que des dialogues forts ne sont rien sans une interprétation sentie, et c’est à ce chapitre que le cru 2007 prête le flanc à la critique. L’affiche est alléchante et aligne, comme souvent chez Duceppe, une enviable collection de talents, dont certains prennent le risque du contre-emploi. Si Normand D’Amour survole littéralement la distribution par sa présence charismatique, d’autres comédiens peinent à habiter leurs personnages. Mentionnons Bernard Fortin, dont le manque de coffre rend son rôle de mari flamboyant et volage peu crédible, et Marie-France Lambert, qu’on a déjà vue plus à sa place que dans les chaussons d’une femme soumise et peu éduquée. Il faut dire à sa décharge que l’interprétation mémorable de Rita Lafontaine rend le personnage de Madeleine lourd à endosser. L’intensité n’est pas toujours au rendez-vous, et on se surprend finalement à n’avoir pas été plus touché par ce naufrage familial.

Drame intimiste, Le vrai monde? est aussi une œuvre sociale. À première vue, il traite de thèmes personnels, tels que les tensions entre les jeunes adultes et leurs parents, les secrets de famille, et la difficile communication entre proches. Puis, grâce au personnage de Claude, intervient la difficulté à transcender le réel pour donner naissance à une pure œuvre théâtrale. Enfin, la pièce évoque la lente entrée des familles québécoises dans l’ère moderne, la fin du patriarcat archaïque, le droit à l’épanouissement et la place de l’individu dans la révolution culturelle en marche.

Cette nouvelle mouture marque enfin le passage d’une nouvelle génération sur Le vrai monde?. Dans le souci – honorable – de coller à l’époque de la pièce, les sept comédiens se transportent dans la génération de leurs parents pendant que les costumes appuient les références aux sixties. Il en résulte ce petit côté folklorique dont les mises en scène d’André Brassard étaient bien sûr dépourvues. Ce phénomène semble créer une légère distanciation par rapport au drame qui se joue, au détriment de l’intensité émotive.

Vingt ans après sa création au Centre national des art, que reste-t-il dans la vraie vie de ce vrai monde?

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